La publicité sur les combustibles fossiles alimente une crise de santé publique: une lettre ouverte des professionnel(le)s de la santé au Canada

8 juin, 2022

À :
L’Honorable Pablo Rodriguez, ministre du Patrimoine canadien
L’Honorable Steven Guilbeault, C.P., député, ministre de l’Environnement et du Changement climatique
L’Honorable Jonathan Wilkinson, C.P., député, ministre des Ressources naturelles
L’Honorable Jean-Yves Duclos, C.P., député, ministre de la Santé
L’Honorable François-Philippe Champagne, C.P., député, ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique

Au nom de organisations de santé représentant plus de 700 000 professionnel(le)s de la santé à travers le Canada, nous vous écrivons parce que nous sommes profondément préoccupé(e)s par les effets de la pollution par le carbone sur la santé des gens, et parce que nous sommes fermement convaincu(e)s de la nécessité de limiter la publicité des produits et des industries liés aux combustibles fossiles pour résoudre cette crise de santé publique.

L’utilisation de combustibles fossiles – charbon, pétrole et gaz – est le principal moteur du changement climatique et le principal responsable de la mauvaise qualité de l’air. Les changements climatiques et la pollution atmosphérique sont des urgences de santé publique interconnectées qui ont des répercussions négatives sur la santé physique, la qualité de vie, la santé mentale et la longévité de la population canadienne. Comme l’affirme un nouveau rapport de Santé Canada, les répercussions des changements climatiques sur la santé, notamment la hausse des températures et la chaleur extrême, les feux de forêts et l’expansion des zoonoses au Canada, ne sont pas seulement des préoccupations futures, mais des répercussions qui se font déjà sentir aujourd’hui. Ces impacts ont été illustrés par les près de 600 personnes qui ont perdu la vie et les nombreuses autres qui ont souffert du dôme de chaleur alimenté par les changements climatiques et des inondations catastrophiques en Colombie-Britannique l’année dernière.

Les combustibles fossiles sont également la principale cause de la pollution atmosphérique intérieure et extérieure. Au Canada, jusqu’à 34 000 décès ou 1 décès prématuré sur 7 sont liés à la pollution de l’air par les combustibles fossiles, tandis que les maisons équipées de poêles à gaz contiennent des concentrations de NO2 de 50 à 400 % supérieures à celles des poêles électriques.

Les preuves sont claires : la production et la combustion de combustibles fossiles représentent un problème de santé publique national d’une importance considérable et urgente. Elles envoient des gens aux urgences, provoquent des maladies chroniques et entraînent des décès prématurés. De plus, ces effets sur la santé sont répartis de manière inégale dans la population, touchant de manière disproportionnée les peuples autochtones, les communautés à faible revenu, les communautés racialisées, les personnes handicapées et souffrant de maladies chroniques, les femmes, les personnes âgées et les enfants.

Compte tenu de l’ampleur des effets sur la santé qui se font déjà sentir, nous exhortons le gouvernement fédéral à aborder la production et la combustion des combustibles fossiles avec la même détermination et les mêmes outils que ceux utilisés pour combattre une autre crise de santé publique : la lutte contre le tabac.

Le Canada est depuis longtemps un chef de file dans la lutte contre le tabagisme. Les interventions efficaces qui réduisent la prévalence du tabagisme au Canada et dans le monde entier et sauvent des millions de vies comprennent la taxation, l’interdiction complète de la publicité, des mesures contre les allégations fausses ou trompeuses des compagnies de tabac, ainsi que des campagnes d’information et d’éducation du public, y compris l’étiquetage obligatoire.

Pourtant, à ce jour, le gouvernement fédéral n’a utilisé que certains des outils qu’il a utilisés dans la lutte contre le tabac afin de limiter l’utilisation de combustibles fossiles et d’atténuer les changements climatiques. Nous reconnaissons et soutenons l’utilisation par le gouvernement fédéral d’un prix sur la pollution par le carbone comme mécanisme pour réduire l’utilisation des combustibles fossiles, mais il est maintenant temps d’aller de l’avant et de prendre l’initiative en imposant des restrictions audacieuses sur la promotion et la commercialisation des produits et des industries de combustibles fossiles nocifs qui polluent l’air, menacent la santé des Canadien(ne)s et représentent la plus grande source d’émissions de gaz à effet de serre au Canada.

Comme l’ont récemment écrit les ministres de l’Environnement et du Changement climatique et des Ressources naturelles : « Nous devons utiliser tous les outils de la boîte à outils pour éliminer la pollution par le carbone le plus rapidement possible. »

La commercialisation et la promotion des combustibles fossiles nuisent à la santé humaine et planétaire de trois principales façons :

  1.   La publicité sur les combustibles fossiles crée une demande pour des biens et services à forte intensité de carbone pour lesquels les politiques climatiques se sont clairement engagées à freiner la demande.

Cela est contre-productif. Par exemple, nous nous félicitons que le gouvernement ait investi un milliard de dollars pour soutenir l’adoption de véhicules à émission zéro, compte tenu de son mandat visant à éliminer progressivement la vente de véhicules à essence d’ici 2035. Pourtant, à l’encontre de cette initiative, l’industrie automobile a dépensé 35,5 milliards USD dans le monde pour la publicité automobile en 2018, en grande majorité pour commercialiser des véhicules à essence.

Jusqu’à 80 % de l’argent consacré à la publicité automobile au Canada sert à promouvoir des véhicules surdimensionnés qui émettent environ un tiers de plus d’émissions qu’une voiture de taille normale. Cette publicité a conduit à une situation où plus des trois quarts des nouveaux achats de voitures au Canada sont des VUS et où nous avons la flotte de véhicules la plus polluante de la planète, selon l’Agence internationale de l’énergie. Les émissions de ces véhicules surdimensionnés ont doublé au cours des 30 dernières années, ce qui mine tout gain de réduction découlant de l’augmentation de l’efficacité énergétique dans le secteur des transports.

Réduire dès que possible le nombre de voitures et de camions brûlant des combustibles fossiles sur les routes permettra de sauver des vies et d’améliorer considérablement la santé et le bien-être, comme le montre un récent rapport sur la pollution atmosphérique liée au trafic. Il n’y a aucune raison d’attendre. Pour atteindre les objectifs de véhicules à émissions nulles, la restriction de la publicité sur les voitures à essence est une action complémentaire nécessaire qui doit être mise en œuvre immédiatement.

  1.     La désinformation sur les combustibles fossiles entrave l’action climatique.

Au Canada, la Loi sur la concurrence interdit aux entreprises de faire des déclarations fausses ou trompeuses sur des produits, des services ou des intérêts commerciaux, mais les industries des combustibles fossiles et de l’automobile mènent des campagnes de désinformation sur le climat depuis des décennies. Auparavant, cela prenait la forme d’un déni de la science du climat. De plus en plus, le marketing des industries de combustibles fossiles se concentre sur des allégations de durabilité environnementale, alors que leur modèle d’affaires et leurs efforts de lobbying continuent de se concentrer sur l’expansion de la production de combustibles fossiles et le blocage de la transition énergétique.

Le Bureau de la concurrence du Canada a récemment réaffirmé son engagement à protéger les consommateurs contre les allégations vertes trompeuses et a demandé aux gens d’être « à l’affût de l’écoblanchiment ». Mais ses orientations sur ces allégations ont été archivées parce qu’elles « ne reflètent pas les dernières normes et l’évolution des préoccupations environnementales ». Il est clair que ces orientations ont un besoin urgent d’être modernisées. Par exemple, les combustibles fossiles ne peuvent jamais être neutres en carbone, le gaz naturel n’est pas propre, et les allégations de « net   zéro » doivent inclure l’ensemble du cycle de vie du produit.

Selon le dernier rapport du GIEC, les informations erronées provenant d’intérêts économiques et politiques particuliers affaiblissent le soutien du public aux politiques d’atténuation et d’adaptation du climat et sont l’un des principaux obstacles à une action climatique efficace au Canada. L’utilisation abusive de termes tels que « net zéro » et l’absence de présentation de l’impact du cycle de vie des produits à base de combustibles fossiles désinforment les Canadiens et entravent la transition vers des alternatives énergétiques vraiment propres et renouvelables, qui sont déjà abordables et à portée de main.

Afin de s’assurer que le public dispose d’informations complètes et exactes pour faire des choix éclairés en tant que citoyen(ne)s, consommateurs et consommatrices, le Canada a besoin d’un cadre réglementaire solide pour garantir que les publicités ne trompent pas le public sur les allégations environnementales.

  1.   La publicité sur les combustibles fossiles ne divulgue pas les dangers connus pour la santé et l’environnement

En ne divulguant pas les dangers sanitaires et environnementaux associés à leurs produits, les entreprises de combustibles fossiles mettent des vies en danger. Les compagnies de gaz naturel vantent la propreté du gaz et encouragent les gens à passer à des appareils de chauffage, des cheminées et des poêles à gaz. Ce qu’elles ne disent pas, c’est qu’il est de plus en plus évident que les enfants qui vivent dans des maisons équipées de poêles à gaz ont jusqu’à 42 % de risques supplémentaires d’asthme, ce qui est comparable au fait de vivre avec un fumeur.

Les campagnes antitabac très médiatisées et les avertissements graphiques sur les emballages de cigarettes alertent sur les dangers du tabagisme. De même, les diffuseurs canadiens consacrent du temps d’antenne gratuit à des messages d’intérêt public sur les risques de l’alcool. Pourtant, il n’y a pas eu d’effort parallèle pour informer le public des risques sanitaires et environnementaux de la pollution par le carbone et d’autres polluants générés par la combustion de combustibles fossiles.

Comme le recommande l’organisme consultatif canadien Net Zero, la sensibilisation du public aux impacts environnementaux des différentes technologies et aux co-bénéfices des actions nettes zéro est nécessaire pour faire évoluer les normes sociales. Nous sommes heureux de constater que le Plan de réduction des émissions du gouvernement du Canada reconnaît la nécessité de s’attaquer à la publicité (p. 205), mais l’expérience nous a appris qu’il faut plus que des encouragements et des actions volontaires pour protéger des vies. Au-delà des préférences des consommateurs et consommatrices, il s’agit du droit du public de savoir et du devoir de diligence des entreprises de divulguer les risques sanitaires et environnementaux.

Selon le plus récent rapport du GIEC, la désinformation provenant d’intérêts économiques et politiques acquis affaiblit le soutien du public aux politiques d’atténuation et d’adaptation du climat et est

l’un des principaux obstacles à une action climatique efficace au Canada. L’utilisation erronée de termes tels que « net zéro » et l’absence de présentation de l’impact du cycle de vie des produits à base de combustibles fossiles désinforment les Canadien(ne)s et entravent la transition vers des alternatives énergétiques vraiment propres et renouvelables, qui sont déjà abordables et à portée de main.

Afin de s’assurer que le public dispose d’informations complètes et exactes pour faire des choix éclairés en tant que citoyen(ne)s, consommateurs et consommatrices, le Canada a besoin d’un cadre réglementaire solide pour garantir que les publicités ne trompent pas le public sur les allégations environnementales.

Dans le monde entier, des actions audacieuses sont en cours pour lutter contre la publicité pour les produits à forte teneur en carbone et l’écoblanchiment.

La France a adopté une loi sur le climat qui interdira la publicité pour tous les combustibles fossiles en 2022 et a interdit la publicité pour les voitures dont les émissions dépassent un certain seuil à partir de 2028. Amsterdam a interdit les publicités sur les combustibles fossiles, les voitures et l’aviation. Les organismes de surveillance de la publicité dans des pays comme les Pays-Bas et le Royaume-Uni poursuivent de manière proactive les fausses allégations de neutralité carbone et de durabilité. La Norvège, leader mondial de l’adoption des véhicules électriques, interdit depuis 2007 la publicité sur les véhicules à essence comme étant verts ou respectueux de l’environnement. Enfin, aux États-Unis, plusieurs procès intentés par des États et des municipalités contre des sociétés pétrolières et gazières, dont la société canadienne Encana, allèguent la connaissance des risques liés au changement climatique et le défaut de mise en garde des consommateurs.

Nous demandons au gouvernement canadien de faire preuve d’un leadership comparable. En tant que professionnel(le)s de la santé et de la santé publique, ayant pour priorité absolue la santé publique et planétaire, et nous inspirant du succès de la réglementation du tabac, nous demandons :

  • Une interdiction complète de la publicité des industries, produits et services liés aux combustibles fossiles (tels que les services publics d’essence et de gaz) et des véhicules à moteur à combustion interne.
  • Une réponse réglementaire solide pour répondre aux allégations environnementales trompeuses des entreprises de combustibles fossiles.
  • Une réglementation rendant obligatoire la divulgation des risques sanitaires et environnementaux associés à la production et à l’utilisation des combustibles fossiles.

La lutte contre le tabac nous rappelle que nous pouvons réaliser de grandes choses lorsque nous sommes confronté(e)s à des preuves scientifiques concluantes d’une menace majeure pour la santé publique. Nous avons maintenant besoin du même leadership politique lucide pour nous attaquer à la menace pour la santé publique que représentent la production et la combustion des combustibles fossiles.

En tant que professionnel(le)s de la santé, nous pouvons attester des avantages immédiats pour la santé qu’une transition énergétique juste favoriserait, et nous sommes prêt(e)s à apporter tout notre soutien pour que ces recommandations de santé publique se concrétisent. Les Canadien(ne)s ne méritent rien de moins.