Les leçons de la pandémie : la santé environnementale exige une action gouvernementale

Par : Jane McArthur
Équipe

Oui, nous sommes tous fatigués de l’entendre. Mais il faut le répéter : il y a de nombreuses leçons à tirer de la pandémie de la COVID-19.

Certaines leçons sont particulièrement importantes en ce moment, alors que le premier ministre nomme son nouveau cabinet et que le gouvernement contribue à préparer l’avenir. Les lettres de mandat seront bientôt rédigées et décriront les objectifs que chaque ministre s’efforcera d’atteindre, ainsi que les défis urgents qu’il/elle devra relever dans le cadre de ses fonctions.

Supposons que le gouvernement soit d’accord avec la position de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) selon laquelle le changement climatique est la plus grande menace sanitaire mondiale du 21e siècle. Et avec le rapport du GIEC qui a rendu plus clair que jamais le fait que nous devons mettre fin à notre dépendance mondiale aux combustibles fossiles pour maintenir la santé planétaire. Et avec le rapport de l’AIE qui souligne la nécessité de mettre fin immédiatement aux approbations de nouvelles exploitations de pétrole, de charbon et de gaz. Et aussi avec la reconnaissance officielle par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies que l’accès à un environnement sain est un droit humain fondamental.

En partant de ces hypothèses, les leçons essentielles de la pandémie sont évidentes, tout comme les actions qui en découlent.

Leçon n° 1 : d’abord ne pas nuire

Face à la pandémie de la Covid-19, qui se déroule parallèlement aux crises du changement climatique et des expositions toxiques, les médecins et autres professionnels de la santé sont confrontés quotidiennement à ce que signifie le travail de soins de santé. La pandémie a causé tant de dommages qui auraient pu être évités par la promotion de la santé et à la prévention des dommages. La réalité à laquelle les fournisseurs de soins de santé sont confrontés dans leur rôle de traiter les résultats de ces crises, ainsi que la compréhension acquise par la formation, les connaissances scientifiques actuelles et l’expérience avec les patients, invitent à réexaminer le serment d’Hippocrate.

Le serment, et ses diverses incarnations au fil des siècles, est par essence une expression de l’éthique. Les médecins et les travailleurs de la santé sont « des membres de la société, avec des obligations particulières envers tous les autres êtres humains ». Bien qu’elle ne fasse pas partie du serment original, l’idée « d’abord ne pas nuire » influence la conduite des médecins et des professionnels de la santé encore aujourd’hui. L’idée qu’il faut aider, et non nuire, guide ceux qui pratiquent les soins de santé. Mais pour des raisons de politique et de gouvernance défaillante, les effets néfastes de la pandémie de la COVID-19 ont été d’une grande portée. Il en va de même pour les combustibles fossiles.

Des recherches récentes nous apprennent que la pollution par les particules fines générée par la combustion de combustibles fossiles serait à l’origine d’un décès prématuré sur cinq dans le monde. Entre 2030 et 2050, le changement climatique provoquera sans doute environ 250 000 décès supplémentaires par an dus à la malnutrition, au paludisme, à la diarrhée et au stress thermique. Les effets sur la santé de la pollution atmosphérique associée à la combustion de combustibles fossiles, principalement par des moteurs à combustion, concernent les systèmes respiratoire et cardiovasculaire, d’autres systèmes organiques, le système nerveux et le système reproductif. Les enfants sont particulièrement vulnérables à l’exposition à la pollution atmosphérique liée aux transports, tout comme les personnes racialisées et socio-économiquement marginalisées.

Dans l’esprit de ne pas nuire, et compte tenu de l’interdépendance de la santé et de l’environnement, voici les mesures à prendre pour éliminer les subventions et le financement public des combustibles fossiles.

Un engagement accéléré en faveur de l’élimination des subventions et du financement public des combustibles fossiles est un élément nécessaire à une reprise saine après la pandémie. Dans l’intérêt de la santé des personnes qui vivent et travaillent au Canada, il est essentiel de mettre fin à toutes les formes de subventions, de financement public et autres soutiens fiscaux au secteur pétrolier et gazier. De même, l’élimination progressive immédiate des combustibles fossiles et l’interdiction de la publicité sur les combustibles fossiles démontreront l’engagement envers un avenir sain. De plus, l’annulation du projet d’expansion Trans Mountain serait un signal clair d’un engagement à une transition vers l’abandon des combustibles fossiles. Non seulement ces actions sont éthiques, mais elles sont nécessaires pour la santé environnementale et humaine.

Leçon n° 2 : nous sommes tous liés

La pandémie de la COVID-19 a illustré l’intensité et la complexité de notre interconnexion – non seulement entre nous, mais aussi avec nos environnements. La transmission du virus entre les personnes est influencée par l’environnement, qu’il s’agisse des travailleurs de la santé privés de respirateurs adéquats, des personnes âgées dépourvues de protections dans les maisons de soins de longue durée, des communautés racialisées où de nombreux travailleurs essentiels ne sont pas protégés, ou des enfants dans les écoles sans ventilation adéquate. La compréhension du rôle des conditions environnementales et de la politique connexe dans la propagation de la COVID-19 doit être étendue à d’autres menaces sanitaires environnementales telles que l’urgence climatique et l’exposition aux produits toxiques.

La pollution atmosphérique a augmenté l’infection par la COVID-19, sa transmission et le risque de mortalité. Le dôme de chaleur de l’été dernier en Colombie-Britannique a causé la plus grande perte de vie associée à un événement météorologique enregistré dans l’histoire canadienne. En Ontario, la qualité de l’air à Toronto était l’une des pires au monde, car la fumée des feux de forêt traversant les communautés autochtones et le nord de l’Ontario contaminait l’air.

Faire le lien entre la santé et l’environnement indique que les actions industrielles, économiques et politiques ont des répercussions sur la santé écologique et humaine – qu’il existe des déterminants sociaux, structurels et écologiques de la santé. En conséquence, les efforts déployés pour faire face à la crise climatique et aux expositions toxiques doivent être ancrés dans la compréhension du fait que le changement climatique et les autres activités humaines constituent des menaces pour la santé.

Les pouvoirs publics doivent adopter une optique de santé planétaire, définie par le Lancet comme « la santé de la civilisation humaine et l’état des systèmes naturels dont elle dépend ». Une approche de santé planétaire nous aide à briser les silos, à rechercher des solutions qui résolvent plus d’un problème à la fois et à prendre en compte les boucles de rétroaction. Les effets dévastateurs sur la santé se faisant déjà sentir, une réponse saine au changement climatique comprend deux sprints : un sprint d’adaptation et un sprint d’atténuation.

Comme le recommande le compte rendu pour le Canada du Lancet Countdown sur la santé et les changements climatiques, qui vient d’être publié, une stratégie nationale d’adaptation au changement climatique bien financée est nécessaire, avec un secrétariat de mise en œuvre composé de dirigeants de

haut niveau de tous les ministères et paliers qui se connectent aux systèmes provinciaux et territoriaux d’intervention en cas d’urgence et de catastrophe.

Comme mesure à court terme pour signaler une approche intégrée du changement climatique et de la santé, de nombreux pays se sont engagés à mettre en place des systèmes de santé résilients au climat et à faible émission de carbone dans le cadre du programme de santé de la COP26 de l’OMS, et nous souhaitons que le Canada se joigne à ce groupe tourné vers l’avenir.

Pour ces raisons, il est essentiel que nous tenions le gouvernement responsable de la réalisation d’engagements climatiques ambitieux. Cela inclut la mise en œuvre de la Loi sur la responsabilité en matière de carboneutralité récemment adoptée et la mise en œuvre d’une taxe sur le carbone substantielle. La législation sur la responsabilité climatique a été couronnée de succès à l’échelle internationale et le Canada peut lui aussi réussir à être responsable de ses objectifs ambitieux en matière d’émissions.

Tout comme le gouvernement a adopté une approche d’urgence pour faire face à la COVID-19 en allouant des fonds là où ils étaient nécessaires, nous avons besoin d’une réponse d’urgence pour faire face à la crise climatique et aux expositions toxiques. Bien que les cibles d’émissions dépassent celles de tous les gouvernements précédents, il est essentiel que le Canada assume sa juste part de réduction des émissions à 60 % sous les niveaux de 2005 d’ici 2030, avec un plan de décarbonisation dans tous les secteurs.

Leçon n°3 : appliquer le principe de précaution

Une leçon essentielle de la pandémie de la COVID-19 est la nécessité d’appliquer le principe de précaution. C’est malheureusement une leçon que nous continuons à ne pas retenir, avec des conséquences mortelles. L’épidémie de SRAS de 2003 a fourni une feuille de route pour faire face aux futures épidémies. Une commission indépendante a mené des audiences pour examiner la façon dont les choses ont été gérées, et une recommandation clé qui en est ressortie était la mise en œuvre du principe de précaution.

« Le principe de précaution est censé représenter le bien public dans toutes les décisions prises en cas d’incertitude scientifique. Lorsqu’il existe une incertitude scientifique substantielle sur les risques et les avantages d’une activité proposée, les décisions politiques devraient être prises pour prêcher par excès de prudence en ce qui concerne l’environnement et la santé du public. » En outre, « lorsqu’une activité soulève des menaces d’atteinte à la santé humaine ou à l’environnement, des mesures de précaution devraient être prises même si certaines relations de cause à effet ne sont pas entièrement établies scientifiquement. »

La Loi canadienne sur la protection de l’environnement (LCPE) – la pierre angulaire de la législation environnementale du Canada – qui régit la pollution et les produits toxiques est dépassée et ne permet pas de faire face aux sources actuelles de pollution et de produits chimiques toxiques. Les réalités actuelles en matière de santé environnementale doivent être reflétées dans la législation, même si certaines preuves scientifiques concernant les nouveaux produits chimiques demeurent incertaines, alors que d’autres indicateurs d’exposition et d’expérience dans la vie réelle signalent des dommages.

C’est pourquoi nous attendons du gouvernement qu’il présente, d’ici le début de 2022, un projet de loi beaucoup plus solide pour réformer la LCPE et qu’il s’efforce de l’adopter d’ici l’été 2022. Le projet de loi doit reconnaître un droit à un environnement sain qui sous-tend la Loi et prescrire la mise

en œuvre et l’application de ce droit d’une manière conforme aux meilleures pratiques internationales. Il doit également inclure des délais obligatoires pour réduire les retards dans la Loi, veiller à ce que la substitution sûre soit considérée comme un outil obligatoire dans le processus de gestion des risques, et créer un processus simple et accéléré pour identifier et interdire les substances qui sont jugées les plus nocives, avec des exceptions limitées.

Leçon n°4 : la gestion des risques et la prévention des dangers sont des paradigmes différents

Les réponses à la COVID-19 ont été largement centrées sur la gestion des risques et le maintien des cas à des niveaux contrôlables par le système de santé. Bien que cette approche puisse être efficace pour maintenir les taux de cas en dessous de certains seuils, il s’agit d’une stratégie fondamentalement différente de celle qui consiste à prévenir largement le risque d’exposition et d’infection par voie aérienne par la ventilation, la filtration et la fourniture d’équipements de protection individuelle de haut niveau.

Les contrôles techniques, les réglementations et les politiques de protection relèvent de la responsabilité des différents niveaux de gouvernement. Les comportements individuels, en revanche, ont tendance à être mis en avant dans les messages de santé. Mais pour la plupart des problèmes de santé, aucune stratégie à un seul niveau ne fonctionne et les gouvernements ont un rôle important à jouer dans la prévention. L’adoption d’un paradigme de prévention des risques par les gouvernements permettrait non seulement de prévenir les cas futurs de COVID-19, mais aussi d’améliorer la qualité de vie de la population. L’adoption d’un paradigme de prévention des risques par les gouvernements permettrait non seulement de prévenir les futurs cas de COVID-19, mais aussi d’éviter les maladies respiratoires, cancers, problèmes de reproduction et autres maladies.

La leçon à tirer est que pour protéger les personnes qui vivent et travaillent au Canada, notamment contre le changement climatique et les produits chimiques dangereux, tout en faisant progresser la justice environnementale, il faut un changement concerté pour reconnaître les dangers et prévenir les dommages qui y sont associés. Les lois et les politiques qui font de la santé une priorité, par opposition aux considérations économiques, et qui rendent les individus responsables, conduisent à gouverner très différemment, et à obtenir de meilleurs résultats en matière de santé environnementale.

C’est pourquoi l’élimination des exportations de charbon thermique n’est pas seulement l’action logique du gouvernement pour prévenir les expositions dangereuses, c’est aussi l’approche juste. Le plan du Canada visant à éliminer progressivement l’exploitation du charbon thermique ou du charbon brûlé pour produire de l’électricité est une victoire majeure. Cependant, nous continuons à exporter du charbon vers des pays du monde entier. Le charbon est le combustible fossile le plus sale et il est associé à de nombreux méfaits pour la santé, non seulement pour les gens qui vivent au Canada, mais partout dans le monde. La campagne conjointe de l’ACME pour interdire le charbon thermique signifie que les gens au Canada savent qu’il est essentiel d’adopter cette mesure. Nous soutenons le gouvernement dans sa volonté de mener à bien ce projet en s’appuyant sur la prévention des risques.

Leçon n° 5 : la prévention est une responsabilité partagée par les individus et les gouvernements

Les preuves scientifiques qui se sont accumulées sur la transmission par voie aérienne du virus qui cause la COVID-19 ont amené l’épidémiologiste David Fisman à déclarer que « l’air est le nouveau caca ». Tout comme l’eau propre est devenue une priorité de santé publique et politique avec la découverte de maladies transmises par l’eau telles que le choléra, la typhoïde et autres, la Covid-19 nous supplie de prendre des mesures concertées pour assainir l’air – tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Et

cela s’étend aux risques sanitaires environnementaux en général. Grâce à la connaissance scientifique des causes et des conditions de notre environnement qui entraînent une mauvaise santé, et des impacts disproportionnés sur certaines populations, des plans d’action préventive deviennent possibles.

Nous devons parcourir une courbe abrupte pour éliminer progressivement les combustibles fossiles d’une manière qui garantisse la santé et le bien-être des travailleurs et des peuples autochtones qui dépendent actuellement de l’économie des combustibles fossiles. Nous devons mettre en place des plans qui garantissent la prospérité des travailleurs et des communautés au fur et à mesure que nous nous dirigeons vers un niveau net zéro. Pour la santé et le bien-être de tous ceux qui vivent et travaillent au Canada, il faut un plan de transition juste, assorti d’une loi sur la transition juste, guidé par les commentaires des travailleurs, des syndicats, des peuples autochtones, des communautés, des provinces et des territoires. Le succès de cette planification et de la santé future dépend de l’engagement d’une transition bien planifiée vers l’abandon du pétrole et du gaz, avec les travailleurs et les peuples autochtones comme membres essentiels du processus.

Pour que les engagements du gouvernement en matière de santé et d’environnement soient couronnés de succès, il est nécessaire de respecter la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) et de mettre en œuvre les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVR). La grande majorité de ces appels restent sans réponse. Les appels de la DNUDPA et de la CVR doivent être pleinement intégrés à la réalisation des engagements climatiques, à une transition juste et à une reprise saine, ainsi qu’à la protection des personnes et de l’environnement contre les expositions nocives.

La lutte contre les effets néfastes de la crise climatique sur la santé, l’exposition aux produits chimiques toxiques, les inégalités structurelles et le racisme environnemental par les gouvernements doit également inclure la réduction des émissions de méthane, la lutte contre la production et les déchets plastiques, l’intégration de véhicules à émissions nulles dans des plans de transport plus efficaces et plus propres, ainsi que des solutions climatiques naturelles. Il est important de noter que la réduction des risques liés aux pesticides par le renforcement de la Loi sur les produits antiparasitaires doit également constituer une action prioritaire du gouvernement en reconnaissance du fait que la santé environnementale est liée à la santé humaine.

L’environnement, le climat et la santé figurent parmi les principales préoccupations de la population canadienne. Les mesures prises en matière de changement climatique et de substances toxiques au cours des prochaines années sont cruciales pour garantir le droit de chacun à un environnement sain, avec pour priorités la prévention des dommages et la promotion de la santé. La santé des gens dépend de la santé de la planète.

L’ACME est prête à collaborer avec le gouvernement pour mettre en œuvre les mesures les plus rigoureuses en matière de protection de la santé environnementale et de justice au Canada.

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