Pourquoi le droit légal à un environnement sain est important pour nos réalités quotidiennes

Les conditions environnementales liées au changement climatique et l’exposition à d’autres substances émises en ces temps modernes ont un impact négatif sur la santé des individus et des communautés. Le droit à un environnement sain – non compromis par les intérêts économiques – est un droit que tous les peuples devraient avoir. 156 États membres des Nations-Unies reconnaissent déjà ce droit. Et le Canada doit rattraper son retard.

La LCPE, la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, a été initialement promulguée en 1988. Elle a été mise à jour pour la dernière fois en 1999. L’examen de la LCPE effectué en 2017 par le Comité permanent de l’environnement et du développement durable de la Chambre des communes a donné lieu à un rapport au Parlement qui comprenait une liste de 87 recommandations visant à renforcer la LCPE. Mais, malheureusement, ces recommandations, ainsi que d’autres, n’ont toujours pas force de loi. Le 13 avril 2021, nous avons salué le début d’une étape essentielle, la première lecture du projet de loi C-28, Loi renforçant la protection de l’environnement pour un Canada plus sain, incluant le droit à un environnement sain. Mais le processus politique est en suspens une fois de plus.

Pour comprendre l’importance d’une loi fédérale qui consacre le droit à un environnement sain, il est utile de creuser la question de l’impact des produits chimiques et des polluants sur les gens dans leur environnement quotidien. Je peux vous en donner une idée grâce à certains des projets de recherche auxquels j’ai participé.

Plusieurs études sur lesquelles j’ai travaillé portaient principalement sur la relation entre le cancer et les expositions environnementales. Lorsque je parle d’environnement, je ne fais pas seulement référence aux environnements extérieurs, mais aussi à nos environnements de travail, à nos environnements domestiques et même à notre premier environnement, l’utérus. La recherche a examiné les liens entre les expositions à la pollution atmosphérique, aux pesticides et aux herbicides, aux plastiques et aux composants des plastiques, et même aux substances contenues dans les produits de soins personnels.

Une recherche menée pendant une décennie auprès de quelques milliers de femmes de la région de Windsor-Essex, dans le sud-ouest de l’Ontario, a révélé que le risque de cancer du sein était trois fois plus élevé chez les femmes qui vivaient et travaillaient dans des exploitations agricoles et, en particulier, chez celles qui étaient exposées à l’agriculture en bas âge. Les femmes qui travaillaient dans le secteur de la fabrication automobile, y compris la fabrication de plastiques, étaient cinq fois plus susceptibles de développer un cancer du sein. Les diagnostics de cancer du sein chez les femmes ont plus que doublé dans les conserveries alimentaires, où les expositions comprenaient des produits chimiques perturbateurs endocriniens. Chez les coiffeurs, où l’on trouve un mélange de substances toxiques, le nombre de cas de cancer du sein était encore plus élevé.

Récemment, j’ai effectué une recherche auprès de femmes travaillant au poste frontalier Ambassador Bridge entre Windsor, ON, Canada et Detroit, MI, É-U. Ce pont est le poste frontalier le plus fréquenté d’Amérique du Nord. Chaque jour, plus de 40 000 navetteurs, touristes et camionneurs transportent des marchandises d’une valeur de 323 millions de dollars à travers la frontière Windsor-Detroit. De ce fait, l’environnement du pont est fortement pollué par la circulation des camions et autres véhicules. Il est également situé dans une région fortement industrialisée du côté canadien et américain. Les femmes qui y travaillent signalent une incidence élevée de cancer du sein. Cependant, les chiffres n’ont jamais été documentés de manière formelle malgré les appels à le faire.

Sur la base de rapports anecdotiques de cas de cancer du sein, l’incidence du cancer du sein semble être environ quarante-sept fois plus élevée chez les ouvrières du pont que les taux comparables du comté. Les femmes du pont n’ont pas seulement signalé des cas de cancer du sein, mais aussi des maladies de la thyroïde, d’autres cancers de l’appareil reproducteur, l’infertilité et des fausses couches alors que les hommes signalaient des cas de cancer du sein, cancer du cerveau, et du cancer des testicules; de plus on signalait des anomalies à la naissance de leurs enfants.

Les personnes qui vivent dans les quartiers situés autour du pont et du corridor des camions de transport diesel – des communautés où vivent de nombreuses personnes racisées, des personnes ayant récemment émigré au Canada, des étudiants internationaux et des personnes vivant dans la pauvreté – présentent également des taux plus élevés de nombreuses maladies et d’hospitalisations.

Le gouvernement fédéral canadien collabore actuellement à la construction d’un autre pont pour permettre la circulation des camions. Les travailleurs et les habitants de la région s’inquiètent, à juste titre, de ne pas être protégés des expositions toxiques. Les projets de développement en cours dans cette région ont omis à de nombreuses reprises de consulter les membres de la communauté, y compris les communautés des Premières nations. Il est difficile de ne pas conclure, face à ces réalités, que les gens sont systématiquement privés de leur droit à un environnement sain.

L’exposition aux substances toxiques est à la fois un problème de santé publique et de justice environnementale

Comme l’illustrent les exemples ci-dessus, il s’agit à la fois de problèmes de santé publique et de justice environnementale. On peut voir les choses ainsi : les environnements dans lesquels nous vivons, travaillons et jouons, ainsi que nos expositions à ces environnements, ne sont pas nécessairement une question de choix individuel. Nous considérons souvent les questions de santé et d’environnement comme des choix comportementaux, des problèmes de mode de vie. Mais cette approche ne tient pas compte du fait que nous n’avons pas tous accès au même mode de vie.

L’endroit où nous vivons, les expositions dans nos quartiers et même dans nos maisons sont souvent involontaires – en d’autres termes, nous ne pouvons pas les contrôler. Les emplois que nous occupons et les vulnérabilités de nos lieux de travail échappent souvent à notre contrôle. Le pouvoir de gérer ces expositions se trouve à l’extérieur de l’individu, dans les lois, les règlements, les politiques et les systèmes économiques et sociaux.

Lorsque nous parlons de santé publique et de justice, les facteurs que nous appelons les déterminants sociaux et structurels de la santé (DSS) font partie de l’histoire, notamment l’accès aux services et aux protections sociales, l’éducation, l’emploi, la sécurité de l’emploi, les conditions de travail, la sécurité alimentaire, le logement et les commodités de base, le racisme, le sexisme, la discrimination et l’accès à des services de santé abordables. Les DSS révèlent souvent des inégalités intégrées dans nos structures sociales.  Si je n’ai pas les moyens d’acheter des aliments sans produits chimiques nocifs, c’est un problème de justice. Si je vis dans une maison située dans un quartier proche de polluants industriels, c’est un problème de justice environnementale. Et si je dois occuper un emploi où les produits chimiques toxiques font partie de mes conditions quotidiennes de travail, c’est aussi un problème de justice environnementale.

Les femmes, les enfants, les personnes racisées, les personnes autochtones et les travailleurs sont rendus plus vulnérables par leurs conditions de vie et de travail. Ils ont, comme tout le monde, le droit de bénéficier d’un environnement sain. C’est pourquoi le gouvernement fédéral canadien doit rattraper son retard et procéder à une réforme législative de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (LCPE) afin de prévenir l’exposition aux produits toxiques et à la pollution, et reconnaître le droit à un environnement sain.

Par Jane E. McArthur, directrice de la campagne de CAPE sur les substances toxiques. La discussion lors du webinaire organisé par Écojustice sur le droit à un environnement sain, le 23 juin 2021, a inspiré ce billet de blogue. Vous pouvez regarder l’enregistrement (disponible en anglais) du webinaire ici.

Share